mercredi 13 janvier 2010

« Alors, c’est comme ça, « chez moi » ? »

Au début, tout était simple. Etre Français à l’étranger, quand on est enfant et qu’on n’a connu que ça, ça peut être très facile. Née au Maroc, arrivée en Australie à l’âge de six ans, j’ai vécu pour la première fois en France en arrivant à la Réunion, vers mes 12 ans. Si mon statut d’étrangère s’est régulièrement posé à moi, rien ne m’avait préparée à l’avalanche de questionnements intimes provoquée par mon arrivée en France – ni aux doutes qui m’assaillent encore, en particulier lorsque j’écoute la radio de bon matin et que ma journée est gâchée par une énième citation grotesque autour de l’identité nationale.




Blondinette qui attendrissait les voisins en invectivant les éboueurs en arabe ; « French frog » pour certains élèves australiens de l’école qui hébergeait l’établissement français que je fréquentais – nous faisions plutôt figure de privilégiés - ; « zoreil » un brin hautaine pour mes camarades de classe réunionnais à mon arrivée...voilà ce que j’ai été. Une fille qui a les larmes aux yeux dans l’avion qui s’apprête à se poser au Maroc ; une Réunionnaise à qui son île manque parfois cruellement ; une nana qui peine à dissimuler son accent australien lorsqu’elle s’exprime en anglais… voilà ce que je suis, parmi tant d’autres choses.


Et la France dans tout ça ? Avant de venir dans l’hexagone, ce n’était pas excessivement compliqué. Encouragée par le bicentenaire de 1989, je braillais la Marseillaise avec entrain. La France était le pays de mes parents et celui de mon éducation : le fait même d’avoir suivi un enseignement français m’inscrivait dans la logique du « retour au bercail », un jour ou l’autre. Un an avant mon grand départ pour la métropole, la coupe du monde de football de 1998 m’avait confortée dans une vision idyllique d’une France métissée et solidaire. Une fois sur place, les joies de la ville émoussées, j’ai découvert avec horreur le froid (pensez-vous, 12° en septembre !), les petites dames dont la peur des jeunes messieurs avait une relation directe avec la couleur de la peau desdits messieurs, la violence de l’exclusion et de la pauvreté, la tristesse des visages matin et soir dans le métro, l’individualisme poussé à l’extrême, les identités locales auxquelles je me sentais étrangère… « Alors, c’est comme ça, « chez moi » ? »


Ce n’est pas facile de découvrir que le pays auquel on s’identifiait naturellement n’est pas tel qu’on l’avait imaginé. Je m’y suis faite, en partie. Je me suis construit une petite muraille autour du cœur pour éviter qu’il ne se brise à la vue d’un homme qui dort sur une bouche d’aération ; j’ai appris à comprendre les blagues à caractère régional qui m’échappaient complètement ; je guette avec impatience, tous les ans, les premiers signes d’un printemps qui se mérite par de longs mois de grisaille… Je comprends aussi la chance que j’ai d’être citoyenne d’un pays développé, mais sans en ressentir tellement de fierté. Bien sûr, en pensant à mon pays, je vois la Révolution française ; de grands auteurs – Voltaire, Camus, Albert Cohen et tant d’autres que je chéris ; les délices d’une pâtisserie inégalée (ça aussi, ça compte !), les maquisards dont mon grand-père faisait partie, les hussards noirs de la République… Mais je vois aussi la responsabilité de notre pays dans la Shoah, la traite négrière à son zénith alors même que nos Lumières inventaient les droits de l’Homme, les essais nucléaires dans le Pacifique et en Algérie et le racisme à peine voilé qui se déchaîne aujourd’hui grâce au bon vouloir du gouvernement.


Quand je vais à l’étranger, je retrouve une certaine facilité à être française entre les « aaaaaaaaww, Paaaaaaaris ! » des Américains, les gentilles moqueries des Belges, la curiosité des Thaïs… Finalement, la meilleure solution est peut-être d’être Française à l’étranger. C’est sans doute un peu lâche, mais parfois il me semble que la fuite permet de retrouver son pays idyllique !


Julia Trinson